CONTRIBUTION : Gouvernance de notre système de santé sous Eva Marie Coll. Pendant la deuxième alternance politique La grande désillusion PAR YOUSSOUPHA NDIAYE
PAR YOUSSOUPHA NDIAYE
L’avènement du Président MACKY SALL à la tête de l’Etat du Sénégal et son choix sur Madame Eva Marie COLL comme ministre de la santé et de l’action sociale avaient suscité beaucoup d’espoir pour les populations mais surtout pour les professionnels de santé que nous sommes. En effet l’espoir était permis au vu des intentions et du discours du chef de l’Etat, mais aussi du préjugé favorable dont jouissait le Professeur COLL. Une grande désillusion s’en est suivi. Voici quelques éléments d’analyses sous l’angle institutionnel et économique de la gouvernance du secteur entre 2012 et 2017.
A – Vue sous l’angle institutionnel.
Le Ministère de la santé est un département certes très spécialisé mais aussi très décentralisé depuis la loi portant décentralisation qui a pris effet en 1997, et les lois et décrets sur la réforme hospitalière qui ont suivi en 1998. C’est ainsi que les compétences en matière de gestion des structures de santé ont été transférées aux collectivités locales et les hôpitaux sont devenus autonomes administrativement et financièrement avec un conseil d’administration dont les attributions sont clairement définies par les lois et décrets portant réforme hospitalière.
Très tôt en 2012, une grande confusion sur les attributions a vu le jour ; de même on a complétement ignoré les lois et décrets qui organisent le secteur pour centraliser complétement sa gestion autour du cabinet du ministre. Une sorte de marche à reculons pour un secteur très bien régi et organisé.
On peut citer le cas du « Projet Hôpital DALAL Jamm » et la tentative de faire prendre service à la tête dudit projet, la Directrice de l’établissement public de santé DALAL Jamm, un hôpital en chantier où on venait pour la première fois de nommer un directeur. L’inspectrice qui avait été chargée de superviser la passation de service parlera de vice de forme alors qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une grande faute administrative (impardonnable à ce niveau), preuve de leur ignorance des statuts de deux entités distincts : l’un (le projet) logé à la Présidence de la République et l’autre un établissement public de santé hospitalier.
Ainsi sous la gestion de cette équipe ministérielle, la confusion des rôles et des attributions atteint son paroxysme, faisant ainsi du cabinet ministériel, un
organe central de commandement, où la notion de tutelle technique est galvaudé à desseins. Il faut pour être dans les bonnes grâce avoir l’attitude de courtisans fréquentant les salles d’attentes en attendant qu’on vous donne des instructions ; faute de quoi vous êtes considéré comme un paria qui « ne cherche pas à travailler pour les autorités disait-t-on » voire un indiscipliné alors que votre seule faute, s’il en était une, c’est de vous donner entièrement à votre travail et sans état d’âme.
Aussi dans les actes administratifs, les fautes dans les formes, ainsi que dans les noms et titres académiques et officiels des agents qui sont volontairement omis (pour créer la confusion sur les personnes ?), les affectations arbitraires et abusives aux fins de règlement de compte, étaient autant de preuves du dérèglement administratif du ministère de la santé.
En effet avec l’appui pesant du cabinet du ministre d’alors, la direction des établissemen0ts de santé s’est vue attribuer des prérogatives en flagrante violation des lois et décrets portant réforme hospitalière et que n’avait même pas la défunte Direction des Formations Hospitalières (DFH) au moment où les hôpitaux étaient de simples services administratifs.
Pour rappel après la suppression de la DFH, c’était la Direction de l’Administration Générale et de l’Equipement qui était alors chargée des Formations Hospitalières avec la création en son sein des deux Divisions vestiges de la DFH qu’étaient la Division de l’Administration Hospitalière des Etudes et du Contentieux (DAHEC) et la Division des Infrastructures des Equipements et de la Maintenance (DIEM).
En remontant le cours de l’histoire on se rend compte que le principe du parallélisme des formes, de même que la notion de déconcentration et de décentralisation, ainsi que la réputation d’agents vertueux et compétents, n’ont jamais été autant bafoués que par le cabinet ministériel du Pr Eva Marie Coll.
Il est même arrivé, pour « salir » un responsable de créer un « néo organe » de contrôle pompeusement dénommer « mission interministérielle » dirigé par une inspectrice dont on ne connait aucune compétence en matière d’inspection ou d’audit et contrôle (du jamais vu !) pour auditer et charger injustement faussement et promptement par « revue de presse » des responsables de démembrement de l’Etat, ignorant que c’est du ressort des corps de contrôle constitués de l’Etat seul habilités à le faire.
C’est en effet par ce cabinet que des agents du ministère de la Santé ont fait l’objet de traitement calomnieux, tendant à les discréditer ou à remettre en cause leur moralité et par conséquent pour détruire leur image auprès de l’opinion et des autorités politiques, par des conspirations et méthodes médiatiques digne du régime hitlérien.
Pour cela les média et l’inspection bras armé composés d’agents n’ayant aucune qualification d’inspecteur ou d’auditeur qui relève hiérarchiquement du cabinet du ministre ont été utilisés. Coïncidence ou pas un journaliste a été promu après à un poste au sein d’un organisme qui dépendait du ministère de la santé ; pour service rendu ?
On n’a pas aussi compris la présence très tôt dans l’entourage immédiat du ministre de personne très proche de l’ancienne Première Dame et du leader de la « génération du concret » au sein de son cabinet. Ceci avait suscité beaucoup d’interrogations à l’époque et encore aujourd’hui.
Ces quelques exemples, sans compter les erreurs communicationnelles au moment de la gestion des crises sanitaires, et les décisions malheureuses qui ont presque provoqué des incidents diplomatiques avec des pays voisins (cas Ebola), montrent suffisamment les carences administratives et managériales de Madame Eva Marie COLL et de son cabinet, ce qui a conduit à la mal gouvernance institutionnelle du secteur de la santé, faite d’abus de pouvoir et à la non maîtrise du processus de gestion et de traitement adéquat de l’information et donc des ressources humaines et financières.
B – Vue sous l’angle économique
Le Président MACKY SALL a très tôt réaffirmé sa volonté de rendre accessible financièrement et géographiquement les soins de santé aux populations. En effet la CMU et toutes les actions tendant au renforcement de la carte sanitaire avec la création et/ou l’ouverture de structures de soins, en sont des traductions fort éloquentes et pertinentes. C’est ainsi que des efforts financiers considérables ont été faits dans ce sens.
Mais il y a lieu de noter que le processus de mise en œuvre de la politique de santé du Président MACKY SALL a été biaisée, très tôt, quand en lieu et place d’une réévaluation du Plan National de Développement Sanitaire et Social (PNDSS) 2009 – 2018, l’on a opté pour une concertation Nationale aux allures folkloriques, qui rappelait d’ailleurs celle tenue en 2006 sur les hôpitaux et qui n’avait finalement rien donné de concret. Comme c’est le cas pour la
concertation nationale car les deux ont eu le même maître d’œuvre. (NDLR le directeur de la DES étant devenu le DC du Pr COLL).
Bien sûr il fallait revoir ce PNDS, un plan décennal élaboré par l’ancien régime et le rectifier en tenant compte du plan décliné par le Président SALL dans le cadre de son programme politique.
Malheureusement ce plan a été laissé tel quel en y greffant juste la CMU.
On a donc fait mettre en œuvre les recommandations d’un plan que le régime du Président MACKY SALL n’a ni élaboré ni approuvé !
En tout état de cause, la pertinence des recommandations de ce plan reste à prouver avec la création de directions générales et donc une démultiplication des directions, et un organigramme aberrant remettant en cause les normes de bon fonctionnement des ministères et le principe du parallélisme des formes.
Ainsi le nombre d’administrateurs des crédits « au mètre carré » au niveau du ministère, était sans commune mesure.
On se souvient des équipements achetés et qui croupissaient dans la poussière au niveau des couloirs, et des centaines de véhicules acheté, et des voyages incessants qui ne nous rapportent strictement rien en terme d’amélioration de notre système de santé !
Les services administratifs et financiers ont vu leurs vocations remises en cause ; une pagaille administrative dont le cabinet du Ministre d’alors était le maître d’œuvre. Sans compter les tripatouillages budgétaires frisant les détournements d’objectifs. Seuls les programmes financés par des partenaires au développement ont permis d’améliorer l’état des lieux.
C – Conclusions
On voit donc qu’au début de la deuxième alternance politique au Sénégal, le Ministère de la santé a souffert d’un manque de leadership institutionnel, car le Ministre avait fini de montrer qu’il ne maitrisait ni son cabinet, ni ses hommes ni l’information utile. Il a même été évoqué dans la presse une situation de malaise causé par le cabinet du ministre.
Les tâtonnements et hésitations que l’on a observés lors de la mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle ; et les nombreux retards dans l’exécution des directives et des projets présidentiels ; les informations tronquées qui étaient
servies pour justifier certains retards ou manquements ; la nomination à des postes de responsabilité de profils douteux, étaient la règle de gestion de ce cabinet.
Ainsi les confusions ont été entretenues et ont permis à des personnes (dont on peut s’interroger sur la loyauté) de s’ériger en vrais décideurs à la place du chef, avec toutes les conséquences et les manquements observés quant au rôle de la tutelle pour une bonne gestion du département, et la réalisation des objectifs du Chef de l’Etat.
Si l’on part du principe que nul n’est censé ignorer la loi, on peut dire que le ministère de la santé sous Eva Marie COLL, est le champion de la violation des lois et donc des droits des travailleurs et des populations.
Aujourd’hui l’avènement de la nouvelle équipe ministérielle avec à sa tête Monsieur Abdoulaye DIOUF SARR, qui a fait ses preuves en tant que Directeur Général du COUD (qu’il a eu à gérer admirablement bien), mais aussi en tant que ministre dans d’autres départements, fait espérer une dynamique managériale plus cohérente et mieux organisée.
En effet les qualités de manager de l’actuel ministre pourraient faire ramener le ministère vers le respect de sa vocation, compte tenu des lois et décrets qui ont fini d’en faire le département ministériel le plus décentralisé, afin que la bonne information, et la responsabilisation de chacun soient enfin effectives, grâce à une gouvernance sanitaire équitable, efficace et efficiente.
Contribution
Par Youssouph NDIAYE
Docteur d’Etat en Chirurgie dentaire
Ancien DAGE du Ministère de la Santé
Diplômé en gestion des services de santé
Diplômé de troisième cycle en Intelligence Economique et Stratégie
Plusieurs fois Directeurs d’établissements de santé de niveau 2 et 3.