Révélations du COVID19 sur le système de santé Immobilisme, vulnérabilité et paradoxes
CONTRIBUTION PAR YOUSSOUPH NDIAYE
La pandémie liée au coronavirus Sras-CoV2 qui a surpris tout le monde globalisé a cependant révélé la vulnérabilité de notre système de santé mais surtout son immobilisme et ses paradoxes. Nous tenterons de l’expliquer après un bref rappel historique et un état de lieux, avant d’évoquer les leçons qu’il faut en tirer.
Rappel
Au moment des indépendances, notre pays a hérité du système de santé colonial qui avait pour logique de doter les villes où résidaient les autorités coloniales et les ressortissants français en infrastructures sanitaire de qualité, au détriment de la majorité rurale qui ne pouvait que se contenter et si c’était possible de postes voire de cases de santé.
Cette logique a vu naitre le model pyramidal qui est la base de notre système de santé et qui a pour principe l’orientation/recours, c’est à dire que le niveau le plus bas réfère au niveau le plus haut dont le plateau technique est le plus relevé et les compétences et spécialités les plus importantes.
Le concept des «soins de santé primaire » sous l’égide de l’Organisation Mondiale de Santé (OMS) est venu consolider ce système qui a été jusqu’ici la base de tous nos Plans Nationaux de Développement Sanitaire (PNDS).
Etat des lieux
Aujourd’hui on peut constater que beaucoup d’effort ont été fait pour améliorer notre système de santé en termes de financement, de construction d’infrastructures, de renforcement de la stratégie des soins de santé primaire, d’une part, mais aussi des actes de solidarité gouvernementale en faveur des populations , à travers la gratuité des soins pour les personnes âgés (plan sésame), pour les femmes (gratuité des césarienne), pour les enfants (gratuité pour les enfants de 0 à 5 ans) et le programme de la Couverture Maladie Universelle (CMU) d’autre part.
On ne peut aussi nier la pertinence des actes politiques qui ont abouti à l’adoption des lois sur la décentralisation avec leur impact sur le secteur sanitaire, mais aussi les lois et décrets sur la réforme hospitalière.
Cependant c’est au niveau de l’application correcte de ces lois qu’il y a problème ; c’est-à-dire leur mise en œuvre effective fait défaut, créant ainsi une sorte d’immobilisme qui s’est traduit par une gestion qui reste encore très centralisée au ministère de la santé.
On peut être tenté de croire qu’au niveau du Cabinet de certains Ministres de la santé, ces lois avaient été perçues comme des éléments de perte de pouvoir !
Ceci pourrait expliquer que malgré les lois et un environnement institutionnel formel, les collectivités locales et les établissements publics de santé, peinent à assumer leur rôle, laissant ainsi (et paradoxalement) à la tutelle technique, la responsabilité totale des structures dont les compétences en gestion ont été transférées au niveau local ou dont le statut consacre une autonomie administrative et financière !
Par ailleurs ce qui caractérise l’immobilisme de notre système sanitaire, soixante ans après les indépendances, c’est que le principe d’orientation/recours est toujours d’actualité ; ce qui fait qu’on évacue toujours les malades de la base vers le sommet ; de même, les intrants médicochirurgicaux ainsi que les principes actifs, sont toujours importés.
On a ainsi tardé à doter les régions et départements de structures ayant des spécialités médicales et chirurgicales et donc des plateaux techniques à la hauteur des besoins réels des populations en matière de soins médicaux et chirurgicaux.
En effet, c’est surtout les programmes de lutte contre les maladies transmissibles qui étaient prioritaires.
C’est ainsi que, depuis les indépendances, les différents Plan Nationaux de Développement Sanitaires (PNDS) se sont peu ou pas du tout préoccupés de développer les plateaux techniques des hôpitaux, ou de rendre facile l’existence d’un système de production de matériels médico-chirurgicaux ou de médicaments.
Les révélations du Coronavirus
La brutalité de son apparition, ses formes cliniques, parfois aigues et nécessitant des soins intensifs, sa méconnaissance, ont mis à rude épreuve tous les systèmes de santé de tous les pays du monde.
Au Sénégal même si la réactivité du Chef de l’Etat par ses décisions rapides et efficaces a été un atout certain dans la riposte, cette pandémie a révélé la vulnérabilité de notre système de santé en termes de sécurité sanitaire avec la faiblesse des plateaux techniques des structures de soins, leur insuffisance et l’absence de système de productions d’intrants et de principes actifs.
En effet, le Covid19 dont la prise en charge des cas doit se faire en milieu hospitalier, notamment en soins intensif, nous révèle que l’on n’a pas suffisamment d’hôpitaux et que ceux qui existent ne sont pas bien équipés.
Plus de vingt ans après l’avènement de la réforme hospitalière, la majorité de nos hôpitaux n’ont pas ou peu de respirateurs et de services de soins intensifs.
Pour la plupart et jusqu’à présent, le recours à des dons de matériels réformés provenant d’Europe reste encore la règle, avec forte médiatisation.
Cela est la preuve de l’échec de l’application de la loi portant réforme hospitalière. Une loi très pertinente qui amorçait en quelque sorte une réforme de notre système de santé, mais qui a été complétement galvaudée parce que sa mise en œuvre, qui avait bien démarrée les deux premières années, avait été confiée plusieurs années durant à des profils complétement étranger au domaine hospitalier ou tout simplement incompétent. Voilà la cause de l’incompréhension, de la confusion et des insuffisances qui caractérisent aujourd’hui notre système hospitalier.
De même le COVID 19 nous révèle aujourd’hui notre insécurité sanitaire, par notre incapacité à produire les intrants et autres principes actifs et outils indispensables au secteur sanitaire, mais surtout l’immobilisme, la vulnérabilité et les paradoxes de notre système de santé.
Il nous révèle aussi la faible implication du secteur privé sanitaire dans la mission du service public.
Les leçons à tirer
Il nous faut réformer notre système de santé pour assurer notre sécurité et notre autosuffisance sanitaire ; les palmarès et la qualité de nos ressources humaines le justifient ; il faudra aussi créer un environnement favorable à l’éclosion d’industries pour les transferts de technologies.
Cela doit passer par le respect des lois régissant le secteur, par la formation continue des acteurs, et par un environnement juridique adéquat.
Avec la loi sur la décentralisation qui consacre la départementalisation, l’approche devrait se faire sur d’autres termes plutôt que sur la base du système pyramidale d’après indépendance ; il faudra raisonner en terme de « bassin de vies » pour toute planification ; en effet, la qualité et la performance doivent être au service de tous les citoyens où qu’ils se trouvent dans le pays.
Enfin il faudra mettre l’accent sur la responsabilisation et la culture de rendre compte à tous les niveaux hiérarchiques ; ce qui passera par l’adaptation des profils aux postes et donc le bannissement de toutes formes de népotisme ; mais aussi d’autoritarisme injustifié et de mauvais aloi dans un secteur où le niveau de qualification et de responsabilité des ressources humaines est très élevé.
Youssouph NDIAYE est :
· Docteur d’Etat en Chirurgie dentaire
· Gestionnaire des Services de Santé
· Diplômé de troisième cycle en Intelligence Economique et Stratégie
· Ancien DAGE du Ministère de la Santé
· Plusieurs fois Directeur d’hôpital de niveau 2 et 3