Week-end culturel de l’Association des Communicateurs Traditionnels de Rufisque :11-12 novembre 2022 à Rufisque. Hommage à deux « Trésors vivants » de la Culture rufisquoise : Ajaa Xaar Mbay Majaaga et Alaaji Mbasu Ngom.
A l’occasion d’un mémorable et historique week-end culturel tenu, du 11 au 12 novembre 2022, l’Association des Communicateurs Traditionnels de Rufisque a rendu un vibrant hommage de leur vivant, à deux icônes de la Culture, tous deux, natifs de la Ville de Maam Kumba Lamb.
C’est à l’issue d’un panel sur la thématique très actuelle : « solidarité, entraide et culture au service du développement de Rufisque » que la cérémonie a lieu, en présence d’un parterre d’autorités politiques, religieuses, coutumières et devant de nombreux concitoyens.
D’ailleurs, la Salle de Conférences du Cercle Maurice Gueye s’est avérée très exiguë pour contenir tout ce beau monde venu témoigner leur affection et leur attachement aux deux impétrants.
Mais, qui sont ces deux lauréats honorés ?
1- Ajaa Xaar Mbay Majaaga : née en 1938 à Rufisque, avec comme nom d’état civil, Faatu Mbay, Xaar, comme on l’appelle affectueusement, est la fille Mor-Majaaga Mbay et d’Ajaa Móori Faal Sekk.
Élevée dans la plus pure tradition de la culture wolof par sa grand-mère, Xujja Buri Mbay, grande griotte, chanteuse de renommée, à son époque, Ajaa Xaar n’a fait qu’un léger parcours (de 15 jours, m’a -t-elle confié, avec humour) à l’école française, pendant la période coloniale.
Elle fût, très tôt, happée et attirée par l’art, particulièrement, le chant polyphonique.
Son ancrage familial à Rufisque relève d’un pacte d’amitié avec la famille de Mataar Ngóone Sekk (grand-père du maire, Feu Biraan Sekk). Le généreux patriarche de Géndel offrira à sa grand- mère, une demeure qui deviendra la maison familiale, sise à la Rue Pierre Verger x Derbézy au quartier Këri-Suuf, avant que sa mère, Móory Faal, ne rejoigne Faas où Xaar Mbay a grandi et, où elle a fait éclore, très jeune, ses talents de chanteuse -soliste.
Entre les quartiers de Géndel (avec la famille Wadd), Faas, Dàngu, Ndënku, Nimzaat, Merina, Cawleew, Sàncaba et Jokkul, Ajaa Xaar Mbay n’y compte que des amis et des admirateurs. Elle le leur rend bien car, très attachée au devoir mémoriel fondé sur l’amitié et sur la reconnaissance.
La lutte, sport traditionnel complet et ferment d’une culture partagée, a permis à Ajaa Xaar Mbay d’exercer la pleine mesure de son talent de chanteuse attitrée.
Accompagnée occasionnellement par Jabu Sekk, »la saint-louisienne », mais toujours associée à Faambay Isë Jóob et à Ndey Ngom Bàmbilóor (la mère du chanteur Feu Njuga Jéng de l’orchestre Baobab) sous le tempo du grand tambour-major, Ma-Seex Fatma Njaay, Xaar Mbay a fouetté le courage de plusieurs générations de lutteurs comme Songaan Géy, Móodu Jaxate de Rufisque, Mbay Géy, Maam Gorgi Njaay de Dakar sans oublier le redoutable seréer, Pierre Téné, avec son Hymne éternel :
« Kaaroo Yàlla-, Kaaroo Yàlla
Bayileen Seen yaaba te laale
Bu doon lambi jigéen sax jeexna »
Traduction approximative :
S’adressant aux lutteurs en fouettant leur orgueil, la cantatrice leur enjoint :
« De grâce, cessez vos sempiternels balancement de bras.
Affrontez-vous car, si, c’était un spectacle de femmes, le combat aurait vite pris fin.
Aux « Arènes » Gabard Ndoye de Rufisque, aux « Arènes sénégalaises » de Dakar, au Stade Demba Diop, tout comme au Stade Léopold Sédar, partout où sa puissante voix a retenti avec des chœurs alternés, les lutteurs ont fait vite de finir la partie.
Xaar m’a confié que ses chants de luttes gymniques ont été fortement encouragés par le célèbre lutteur Songaan Géy de Dàngu de Rufisque. Mais, c’est véritablement, Alassan Njaay dit Alou, instituteur de son état et célèbre chroniqueur sportif, des années 60, au talent consommé qui l’aura révélée au public radiophonique, lors de ses reportages. Qui ne souvient alors de la langoureuse mélopée de « Daroo-minaam », du rythme saccadé d’Ayaa-bimbang » ! Mais aussi de sa marque éternelle : « Mbaayoo-Mbay », chant profondément lyrique et somptueux dédié à Sëydi Babakar Si,premier Xalif d’Alaaji Maalik Si.
Xaar Mbay, s’est essayée à tous les genres comme les chants d’exorcisme du Faux-lion (Simb), les refrains des chants de Tatouage (woyu-jam) sans oublier le Chant lyrique avec le xalam (guitare traditionnel).
L’illustration la plus pertinente de son talent est son duo mémorable avec un autre monument, le guitariste-chanteur généalogiste Sàmba Jabare Sàmb, dans un classique du répertoire de la musique
sénégalaise, « Laggiyaa », lors du Gala organisée par l’Education nationale, au Théâtre National Daniel Sorano de Dakar.
Ajaa Xaar Mbay a tissé un réseau d’amitié à nulle autre pareille, avec des hommes du sérail politique de Rufisque comme Feu Mbaye -Jacques Diop, Feu Alioune Badara Mbengue sans oublier Feu Ousmane Sène Blay.
C’est cette même amitié qui l’unissait aussi à Feu Cheikh Cissé de Sàncaba. Jusqu’à ce jour, cette empathie réciproque est entretenue par leur famille respective.
Élargissant le cercle de cette vaste chaîne d’amitiés, Ajaa Xaar parle avec beaucoup de considération des hommes et femmes qui l’ont marquée comme : Alaaji Mànsuur Mbay, Aali Géy Sekk de Kawlax, Duudu Njaay Kumba Rose de Dakar ou Abdul Gité Sekk de St-Louis et Faatu Camb Sàmb.
Poursuivant son aventure esthétique de recherche sur le chant mélodique orchestré, Ajaa Xaar, s’est enfin essayée avec réussite au tradi-moderne avec le Studio d’Aziz Jéng, quand la matrice des cassettes faisait florès dans le marché musical. Qui ne se souvient de la belle composition rythmée faisant cas des errements de la jeunesse sénégalaise, avec comme choristes, Feu Aas Cuun et Fallu Jeng, le célèbre chanteur !
Musulmane accomplie, Ajaa Xaar a effectué plusieurs fois le pèlerinage aux Lieux saints de l’Islam et à Fez, au Maroc.
Adulée et bénéficiant d’une haute considération à l’aune de son engagement artistique, Ajaa Xaar Mbay a reçu plusieurs décorations dans les ordres nationaux du Sénégal des mains prestigieuses des Présidents Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et de Macky Sall.
De plus, près d’une vingtaine de diplômes de reconnaissance lui ont été décernés par les Ministères de la Culture, du Sport et de la Femme et d’Associations faîtières du Monde des Arts de la Culture, sans compter ses nombreux trophées remportés lors des Galas.
Connue hors du pays, elle a été l’objet de haute considération par la République sœur de Gambie et par la Côte d’Ivoire…
Coulant une belle retraite dans sa magnifique et paisible maison de Rufisque, après avoir été Directrice de l’Ensemble lyrique du Théâtre National Daniel Sorano où son passage a été auréolé d’une gloire scintillante, Ajaa Xaar Mbay aura aussi contribué à mieux embellir, et faire aimer, le rôle et l’image d’Epinal de la femme sénégalaise, dans la gestion, la préservation du pouvoir et dans la défense des valeurs chevaleresques de notre société, à travers sa célèbre composition « Góor baax na,jigéen baax na ».
En effet, c’est cette belle chanson épique magnifiant la bravoure de la Linguère Ngóone Latir Faal, fille de Lat-Sucabe Ngóone Jéey qui, devant l’indisponibilité de son père malade, enfourchant le destrier « w axi-néeg » (paroles à huis clos),battit à la bataille de Ngangram en 1697, le Roi du Trarza, venu faire une razzia, en pays seréer.
Voilà l’itinéraire et la contribution dans la culture de la Diva rufisquoise à son pays, que les Communicateurs Traditionnels de Rufisque ont honorée.
A l’instar d’autres chanteuses du pays, au talent connu et reconnu comme Ajaa Mbana Jóob du Waalo, Ndéy Faali Jéng de St-Louis ou Yandé Koddu du Siin, Ajaa Xaar Mbay Majaaga a apporté sa prestigieuse contribution à l’émergence d’une nouvelle esthétique à la musique traditionnelle sénégalaise.
Les autorités locales de la Ville de Rufisque devraient pouvoir saisir cette opportunité pour l’immortaliser à travers un acte symbolique de perpétuation de son nom.
2-Alaaji Mamadu Ngom dit Mbasu, surnom qu’il tient de son homonyme, Mamadu Mbay, est né le 04 septembre 1947 à Rufisque.
Il est le fils de Feu Seex Ngom qui fut mécanicien à la célèbre usine de production de ciment,la Sococim fondée en 1948 sur le bassin sédimentaire marno-calcaireux , entre Bargny et Rufisque.
Sa mère ,Ajaa Ayta Ba Diagne,née en 1914,a été rappelée à Dieu en l’an 2000.
Alaaji Mbasu Ngom a fait toute sa scolarité,de 1954 à 1960 à l’Ecole primaire des Garçons de Rufisque, devenue ,par le biais du parrainage à l’initiative de Feu le Pr.Iba Der Thiam, ministre de l’Education nationale, École Mataar Seck.
Élève doué et brillant surnommé « le Diable »par ses maîtres et par ses condisciples, Mbasu Ngom qui rêvait de devenir Médecin,vit le sort s’acharnait sur lui, suite à un tragique accident survenu, la veille de la tenue de l’examen d’entrée en 6 éme.
En effet, c’est en jouant avec un camarade classe, sur un arbre que le brillant élève, Mbasu Ngom,chuta brutalement. Cet accident lui occasionna une profonde facture à l’une de ses jambes.
Hospitalisé à plusieurs reprises, mais,mal soigné par les guérrisseurs traditionnels, Mbasu Ngom devint ainsi, une personne à mobilité réduite, avec un handicap.
C’est ce malheureux accident qui entrava la poursuite de ses études.Dés lors,il lui fallait redimensionner ses ambitions et choisir une alternative.
Alaaji Mbasu prît alors,le parti de l’art, plus précisément,celui d’être prercusionniste de tam-tam (le Sabar) dont son oncle maternel,Gorgi Diagne était, à l’époque,le meilleur tambour-major de son temps,car, dépositaire d’une longue tradition héritée de leur célèbre ancêtre Demba Koddu Diagne, »Paarub Déen »(fonction honorifique du pouvoir lébou).
Ce patriarche de la famille Diagne est le père d’Amul Yaakaar, père de son oncle maternel,Gorgi Diagne et de sa mère Ayta Ba Diagne.
D’ailleurs, ce legs de la transmission du pouvoir dans la maîtrise des percussions, relève d’un don inné qu’avait pu détenir,selon ce qui m’a été rapporté, leur ancêtre Maam Masàmba Caam dont l’épouse,Maam Yaxara Njaay Diagne,fut la première femme sénégalaise prercusionniste ,accompagnant son époux, lors des cérémonies et lors des spectacles.
C’est pourquoi, très tôt, Alaaji Mbasu Ngom s’adonnat, avec dextérité , dans l’animation des séances de courses hippiques à Rufisque sous la férule de son oncle Alaaji Gorgi Diagne.
Se spécialisant aussi, dans tous les registres des rythmes traditionnels du « sabar », Alaaji Mbasu Ngom, devint, malgré son handicap, un des meilleurs « tambour-major » de « Tànn-béer »( séances de tam-tam organisées en veillée) de la Ville de Rufisque, prenant ainsi, avec sa famille ,la relève d’éminents artistes du tam-tam que furent,Mànsuur Sekk de Yéen, Jibril Mbeng,Ma-Njoba Sekk et son frère Mamóory de Dàngu.
Alaaji Mbasu Ngom animait encore, avec ses amis et ses enfants,Njapali Ngom et son frère Mamóory,les traditionnelles séances de danses »léboue »comme le « Gumbbe » et le « Ndawrabin » dans tous les quartiers de la Ville de Maam Kumba Lamb.
Il se signala aussi dans les séances de luttes grâce à sa maîtrise des différents « bakk »(rythme propre à chaque écurie de lutte).
Aujourd’hui,la relève est bien assurée avec ses enfants qui, chaque année grâce à son fils Njapali Ngom, organisent, un festival des rythmes et des percussions à Rufisque.
D’ailleurs, c’est le groupe de batteurs dirigés par l’excellent Mamóori Ngom,son fils qui assurera,en partie, l’animation du Mondial 2022 au Qatar,en accompagnant le groupe des supporters de l’équipe nationale de football du Sénégal, L’ASC rufisquoise, « Lebougui »de Dàngu.
En plus de son talent consommé de percussionniste, Alaaji Mbasu Ngom est un historien-généalogiste des familles « léboue » de la Région de Dakar, singulièrement de la Ville de Rufisque.
En effet, aucun lignage des ancêtres « lébou » reposant aux cimetières de Xembe(cimetière de Cawléen), de Gijéw (cimetière de Jokkul) ou de Mbelelaan(cimetière de Dàngu) n’échappe à sa prodigieuse mémoire.
Mbasu Ngom surfe allègrement sur les différents liens structurant les familles « lébou »;il fait de même en évoquant avec profondeur les mythes fondateurs de tous les quartiers traditionnels et »penc » de la Ville de Maam Kumba Lamb.
Ainsi, pour chaque « penc » de Rufisque, Alaaji Mbasu Ngom peut décliner, sans aucune difficulté, l’ancêtre éponyme jusqu’à la génération actuelle.
Ce pouvoir de la « parole proférée » est aussi un héritage précieux venant de Maam Yaaxam Caam et de Ma-Ndaw de Yéen .
Par ce fait, Alaaji Mbasu Ngom assume le legs d’éminents historiens tradtionistes de l’histoire très riche des « Lébou », devenant ainsi,le digne héritier de ses parents et illustres devanciers :Mbay Caam et Kayre Sekk,griots célèbres de la mémoire « lébou ».
Musulman accompli, ayant fait le pèlerinage de la Mecque en 2000, Alaaji Mbasu Ngom, malgré son handicap visuel survenu sur le tard,coule des jours heureux dans son quartier de Dàngu, entouré par ses enfants et par ses petits -fils qui lui vouent un respect teinté d’administration.
Il est régulièrement consulté par les élèves,les étudiants,les chercheurs et par toutes les autorités de la Ville de Rufisque.
C’est cet icône qualifié de « Trésor vivant »que l’Association des Communicateurs Traditionnels de Rufisque a fêté lors de cet historique premier weekend culturel.
Il serait souhaitable que les autorités locales de notre Ville,par un geste symbolique,immortalise son nom pour sa contribution à l’écriture de l’histoire de la Ville de Maam Kumba Lamb.
Pr.Meissa Ndiaye BEYE.
Inspecteur de l’Education à la retraite.
Ancien conseiller culturel du Maire de la Ville de Rufisque.